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Les grands émergents en mal de justice sociale

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Manifestations de grande ampleur en Turquie et au Brésil, chef d’entreprise pris en otage en Chine… Les grands émergents entament aujourd’hui une période compliquée de leur histoire, semblable à celle vécue au début du XXe siècle dans les pays aujourd’hui développés, et que Karl Polanyi avait analysé comme étant la résultante du désencastrement de l’économie dans son livre phare La Grande Transformation, livre paru en 1944. Après des années de croissance insolente et ininterrompue, les gouvernements de ces pays vont devoir à nouveau prendre en compte l’aspect social afin d’éviter de perdre leur légitimité et d’arrêter l’augmentation des troubles sociaux.

C’est à croire qu’ils n’ont rien appris de nos erreurs ! Si les grands émergents ont pu bénéficier d’années de croissance dans une optique très libérale, calquée sur le modèle de la fin du XIXe siècle pour les pays développés comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou la France, il est bien évident que les gouvernements prônant ces politiques allaient être un jour confrontés à une population désireuse de voir le retour sur investissement de tous les efforts consentis pendant toutes ces années.

En Europe, Bismarck a été l’un des précurseurs des lois sociales, certes pour tenter de court-circuiter l’essor du Marxisme mais les bien timides lois des trois grands pays européens (droit de grève en France en 1864, reconnaissance de la CGT en 1895 entre autres). Aujourd’hui, les dirigeants des grands émergents s’appellent Roussef, Xi ou encore Erdogan et l’histoire se chargera de leur montrer qu’ils n peuvent faire abstraction de mouvements sociaux s’ils ne font rien par eux-mêmes et ce, d’autant plus que des institutions internationales, inexistantes fin XIXe, leur mettent une pression « par le haut » pour qu’ils écoutent la rue. Croissance démographique oblige, ils font surtout face à un véritable tsunami de protestations.

Quelques chiffres pour illustrer le gouffre qui sépare encore les grands émergents des pays développés. La part des dépenses de l’Etat dans le secteur de la santé s’établissait en 2011 à 17,53%[1] en moyenne dans les 4 pays développés que sont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Etats-Unis. La proportion passe à 10,5%1 pour l’ensemble suivant : Chine, Brésil, Inde et Turquie. De même, le PIB par habitant moyen en 2013 représente plus de 44000$[2] pour les quatre pays développés contre un peu mois de 8000$2 pour les 4 émergents. Enfin, si les pays développés semblent avoir définitivement éradiqué la pauvreté absolue (définie comme un revenu inférieur à 2$ par jour), celle-ci frappait encore 4,7%[3] de la population Turque en 2010, 10,8%3 de la population brésilienne en 2009 et 27%3 de la population chinoise, en 2009 également.

Après le Take-Off, la marche vers la maturité

Quelle marche à suivre aujourd’hui pour les émergents ? Celle qu’on emprunté les pays développés. La paix sociale ne peut s’acheter, elle doit être construite autour de politiques bien définies de soutien à toutes les catégories de population. Systèmes de retraite, d’assurance-santé, accès à l’éducation secondaire voire universitaire ou bien à l’eau potable… Toutes ces facettes de la société représentent des besoins basiques auxquels les pouvoirs publics doivent s’atteler. Il faudra peut-être sacrifier un ou deux points de croissance pour ces pays pendant un certain temps d’adaptation mais les gains sur le long terme seront incommensurables. Avant cela, il sera impossible de pouvoir parler de pays développés à l’endroit des grands émergents. Certes, leur économie a atteint un degré de complexité qui se rapproche toujours davantage des standards des pays développés. En attendant, le chemin est encore long pour arriver à bâtir une société équitable et prospère.



[1] Données issues de l’OMS.

[2] Données issues du World Economic Outlook et de ses estimations, FMI

[3] Données de la Banque Mondiale dernières données disponibles

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